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novembre 19, 2015

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Nous reproduisons ici un texte de Jean-Do Robin, syndicaliste, défenseur de la langue bretonne et militant engagé pour la Palestine avec qui nous partageons une vision inclusive et radicalement antiraciste de l’identité bretonne. Il revient sur  les défilé fasciste de Pontivy.

Bretagne-info.

A propos des violences fascistes à Pontivy le 14 novembre 2015

Les média ont largement diffusé les images du rassemblement fasciste contre l’accueil de migrants, à Pontivy le 14 novembre dernier, et des violences qui l’ont accompagné.

Ce lamentable évènement appelle quelques observations

L’extrême droite en Bretagne

L’utilisation par Adsav de symboles qui se rattachent à la Bretagne, ainsi que l’inscription de son discours dans une prétendue revendication bretonne sont totalement factices : Adsav est une déclinaison du Bloc Identitaire, variante française de la nébuleuse néo-nazie européenne qui s’emploie à attiser la haine xénophobe en jouant sur les frustrations liées à l’exclusion sociale et culturelle générées par le capitalisme débridé.

Ces frustrations, conjuguées au discrédit du pouvoir politique (corruption, évasion fiscale, carriérisme, népotisme, dénis éhontés de démocratie et de justice sociale, incohérence et aventurisme géo-politique…) sont aussi bien le terreau des discours ultra-nationalistes que du recrutement salafiste : Adsav-Bloc Identitaire et Daesh ne sont que deux visages de la même théorie du chaos, idéologie nourrie du mythe apocalyptique d’Armageddon et mue par l’instinct de mort.

Le premier est aussi étranger à l’héritage culturel et politique du peuple breton que le second l’est au Coran.

Adsav, si on fait abstraction des oripeaux dont il se pare, n’est que le clône du Bloc Identitaire en France, de la Lega Nort en Italie, de la phalange espagnole, du Vlaams Belang en Flandres ou de Pegida en Allemagne… (liste non exhaustive, mais suffisamment nauséabonde).

Les responsables d’Adsav n’hésitent d’ailleurs pas à organiser des manifestations communes avec le “Parti de la France” et des anciens d’OAS tels que Claudine Dupont-Tingaud, comme à Brest, le 10 octobre dernier.

C’est dire si l’expression “extrême droite en Bretagne” est certainement plus appropriée que le terme d’ « extrême droite bretonne ».

L’expression politique bretonne est une composante de la refondation démocratique

 

L’expression bretonne contemporaine, dans sa large majorité, qu’elle soit strictement culturelle, ou qu’elle soit politique, des “régionalistes” aux indépendantistes, n’a rien à voir avec ces néo-nazis.

Elle s’inscrit dans une revendication mondiale de reconnaissance de la diversité culturelle, comme source d’enrichissement des sociétés modernes, comme outil de résistance à la pensée unique, et donc comme rempart aux totalitarismes.

Mais il faut bien reconnaître que les efforts pour construire en Bretagne un projet de société, capable de répondre aux nouveaux défis de la démocratie (démocratie participative, principe de subsidiarité, droit à l’expérimentation, reconnaissance des projets d’initiative citoyenne…), un projet qui repose sur une économie au service de solidarités sociales élargies ; un projet qui associe étroitement la promotion de la diversité culturelle à la préservation de la diversité du vivant ; un projet construit sur un territoire identifié et voulu par ses habitants, et identifiable par ses partenaires internationaux ; un projet constitutif d’une Union Européenne politique, démocratique et donc souveraine… ont bien du mal à se frayer un chemin entre les divers obstacles qui lui sont opposés.

A ce titre, Adsav n’est qu’une pustule parmi les récupérations et les dérives de toutes sortes qui nuisent à l’émergence d’un projet politique breton crédible et novateur.

Bien plus lourd est le poids des mythes productivistes et des intérêts privés issus d’un « modèle agricole breton » destructeur d’emplois et complètement obsolète, qui a permis la manipulation et le détournement à leur seul profit, de cette explosion de colère du peuple breton, confronté aux licenciements et au chômage, que fut le mouvement des Bonnets Rouges… avant d’être coiffé par Xavier Beulin (3 milliards d’€ pour continuer à envoyer les paysans dans le mur et à empoisonner le monde, Merci M. Valls), puis renvoyés à la chaîne d’abattage ou de conditionnement pour le plus grand profit des Glon, Merret et autres affidés d’Avril-Sofiprotéol en Bretagne… Jusqu’à la prochaine vague de licenciements dans les abattoirs, et de suicides dans les salles de traite.

Et comme si la coupe n’était pas pleine, propos méprisants et insultants de la gentry gouvernementale envers les ouvriers bretons (« les illettrés de Gad », E. Macron, 17.09.2014). Là encore, du gâteau pour les fascistes en embuscade, qui n’ont pas manqué, nous avons pu le constater, de canaliser la rancœur et la confusion de quelques « soldats perdus » du mouvement des Bonnets Rouges.

Car le tableau serait très incomplet sans le mépris et l’autisme de l’État, inféodé aux intérêts du capital financier (Total, Vivendi, Areva, Veolia, Avril, CIC…), sourd à l’opposition de la population, agriculteurs et pêcheurs y compris (et des élus locaux, parfois) aux projets inutiles, voire destructeurs de NDDL, de la centrale au gaz de Landivizio, des forages miniers en centre-Bretagne ou de la destruction de la dune sous-marine de la baie de Lannion (Macron encore et toujours…).

Pourtant l’alternative énergétique et économique bretonne existe : au-delà d’une nécessaire actualisation, les grandes lignes du Projet Alter Breton proposé en 1978 par le PSU sont toujours à l’ordre du jour.

Mais les projets issus de l’initiative citoyenne se heurtent, en Bretagne comme ailleurs, à un centralisme d’autant plus étouffant et répressif que l’État est chaque jour plus incapable d’assumer le rôle que les citoyens lui ont confié et pour lequel ils lui faisaient encore plus ou moins confiance : les protéger du rouleau compresseur et des violences du capitalisme sauvage.

Dans ce contexte de perte presque totale de crédit démocratique, l’État français caractérisé par une hyper-concentration des pouvoirs (régime présidentiel envié par R.T. Erdogan, centralisation des institutions et des sièges sociaux, des recettes fiscales et des administrations) ne peut que considérer comme du pain bénit tout prétexte à établir un état d’urgence permanent, c’est-à-dire l’État de siège, prélude à la dictature. Erdogan en blêmit déjà de jalousie.

À quoi joue le ministre de l’Intérieur ?

Le 14 novembre 2015, lendemain des attentats de Daesh à Paris, l’état d’urgence est proclamé. Les préfets prennent des arrêtés interdisant toute manifestation publique.

Pourtant, le préfet du Morbihan autorise la manifestation à Pontivy du groupuscule néo-nazi «Adsav» contre l’accueil de migrants en Bretagne. (Bilan : 3 blessés, dont une personne sauvagement tabassée par des manifestants).

Dans son communiqué du 16 novembre, le MRAP s’interroge fort opportunément :

“Comment la bande fasciste a-t-elle pu ainsi terroriser et frapper dans les rues d’une ville bretonne ?

Comment cette manifestation a-t-elle pu se dérouler sans interdiction ?

Comment 150 nervis ont-ils pu manifester en toute impunité dans une ville de 15 000 habitants à l’appel d’un groupuscule régional, bien connu des services de police ? De surcroît, sans qu’aucune interpellation n’ait été réalisée ?”

Adsav est un groupuscule qui, lorsqu’il rameute tout ce que la Bretagne compte d’activistes d’extrême droite, peinait jusqu’à présent à rassembler plus de 80 individus, 100 au grand maximum.

En maintenant son autorisation à ce rassemblement, dans le contexte émotionnel de la tuerie du 13 novembre, le préfet du Morbihan offrait un véritable tremplin aux nervis… Il est donc plutôt rassurant que malgré ce coup de pouce, Adsav n’ait pas réussi à rassembler plus que les 150 abrutis présents.

Mais les violences d’Adsav, aussi graves et inquiétantes soient-elles, ne sont qu’un épiphénomène au regard de la montée en force des idéologies totalitaires dans la représentation politique française.

Le FN de Marine Le Pen en est une composante bien plus inquiétante.

Plus encore, au-delà du FN désormais installé dans le paysage politique (par qui ?), c’est la normalisation de son discours et la reprise des mesures qu’il réclame, sécuritaires, xénophobes et liberticides, par la droite traditionnelle et par le gouvernement Hollande-Valls, qui doivent d’abord être dénoncées pour ce qu’elles sont : une dérive fascisante des dirigeants politiques français.

Or l’écho donné sur les chaînes de télévision aux évènements de Pontivy aura indiscutablement contribué à deux choses :

– Justifier le prolongement d’un état d’urgence et le renforcement des dispositifs policiers,

– Salir, une fois encore, aux yeux d’une opinion publique française peu avertie, l’image de la revendication culturelle et politique bretonne, en l’assimilant toute entière aux délires et aux violences d’une bande de fascistes.

Adsav, dans ce contexte, n’est qu’une marionnette, une carte parmi d’autres aux mains du pouvoir, dans le grand jeu des manipulations de l’opinion publique.

Comment comprendre autrement qu’une telle manifestation ait été autorisée et que les violences qu’elle a générées n’aient fait l’objet d’aucune interpellation par les forces de police pourtant présentes, ni depuis – jusqu’à plus ample information – d’aucune poursuite du parquet ?

Jean-Do Robin, 19 novembre 2015